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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 09:10

 

L’ange Gabriel se pose sur la maison de Joseph. Comme une touffe de duvet. Et il écoute. Dans son atelier de charpentier, Joseph s’acharne à grands coups de marteau contre une planche de bois. L’odeur du bois martyrisé monte aux narines de l’ange. Mais Gabriel sait que c’est Joseph qui a mal. « Marie, pourquoi m’as-tu fait cela ? ». C’est le cri de l’amoureux trompé. Gabriel se laisse glisser dans la boutique et s’assoit sur un tabouret. « Joseph, si ta femme est enceinte… » Mais à quoi bon ? Joseph n’écoute pas. Cœur déchiré n’a pas d’oreille.

Gabriel laisse le temps s’écouler et la pénombre envahir l’atelier. Le charpentier capitule enfin. Il fracasse son poing crispé dans sa paume ouverte : « Marie. Pourquoi m’as-tu fait cela ? ». Il sort, Joseph. Fait le tour du village. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin. L’ange l’accompagne. Et lui parle. Mais à quoi bon ? Joseph n’écoute pas. Rentre chez lui. S’allonge sur sa paillasse. Et sombre dans un sommeil sans étoile. C’est le moment qu’affectionnent les anges. Ils dessinent des rêves sur la paroi de votre cerveau, animent des images derrière vos yeux clos, font chanter des mots dans vos oreilles. Ils vous regardent enfin sortir de votre oreiller. Et vous écoutent maugréer « Mensonge. Songe ment ».

Gabriel le sait bien. Il a essayé de parler au roi Hérode. Une nuit d’étoile, il lui a dit : « Ne crains rien de l’enfant qui va naître. Ce sera un roi. Mais un roi de paix. Hérode, accueille-le. Il te sauvera et sauvera ton peuple ». Mais non, « Mensonge. Songe ment » ; Hérode n’a pas écouté. Ventre affamé de pouvoir n’a pas d’oreille.

Joseph ne dit rien, lui. Il se lève. Se lave. S’habille de neuf. Mange un bout de fromage. Prend son baluchon et son âne. Et part. L’ange le suit. Chemin faisant, il allége les pas et le cœur du charpentier et ne cesse de lui répéter : « Ne crains pas, Joseph. Ne crains pas… ». Arrivés à la maison de Marie, ils frappent tous deux à la porte. Marie se réfugie dans les bras de Joseph. Ils se racontent des histoires. Des histoires d’ange. Marie assure qu’un ange est apparu. En vrai ! Et c’est vrai, se souvient Gabriel. « Tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. » Pas facile à convaincre, Marie ! « Comment cela se ferait-il ? ». Et le vieux Zacharie ? Le père de Jean-Baptiste, lui, il a résisté bien plus longtemps. Un fils ? A mon âge ? Gabriel les comprend. Pas simple d’annoncer aux humains des nouvelles pas possibles. Annoncer une naissance d’abord à un vieillard et ensuite à une toute jeune fille… il faut être un artiste de la confiance. Joseph, lui, c’est pas pareil. Il n’attendait qu’à sortir de sa nuit sans étoile. Joseph. Marie. Ils s’aiment, ces deux-là. Et il pense, l’ange Gabriel, à ses compagnons qui, là-haut, dansent devant le trône céleste.

Il est long, le voyage de Nazareth à Bethléem. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin. Gabriel s’entretient tour à tour avec l’âne que Joseph tire d’un pas sûr et avec la petite vie qui chantonne sous la robe de Marie. La suite, vous la connaissez ; d’autres vous l’ont racontée. Jésus, l’enfant de Marie, a poussé son premier cri. Quand l’enfant quitte la nuit maternelle, il crie à tue-tête pour révéler les secrets appris dans le ventre de sa mère. Alors l’ange applique son index sur les lèvres du nourrisson : « Chut ! Oublie tout cela. A toi de redécouvrir à présent les mystères de la vie !» Vérifiez dans un miroir : le doigt de l’ange laisse un léger sillon entre la bouche et le nez. C’est ce qu’a fait Gabriel à Jésus. Mais très très légèrement… en trichant un peu. Quant aux bergers, eux, il a fallu sortir le grand jeu. Les anges des cieux ont sorti leurs instruments et leurs plus belles voix. Ils les ont réveillés : « Jésus est né ! ». Et les bergers ont quitté les collines pour le village de Bethléem. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin.

Quant aux mages… il a fallu patienter ! Le langage des anges et des étoiles leur est familier. Mais saisir les rares moments où ils interrompent leurs consultations nocturnes pour s’endormir n’est pas à la portée de n’importe quel ange. C’est pour cette raison que Dieu a envoyé le meilleur de ses sept anges qui se tiennent devant sa face. Les mages ont confronté leurs rêves et ont conclu : « Ne retournons pas vers le roi Hérode. Rentrons directement chez nous ». Et c’est ce qu’il ont fait. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin.

Quant à Joseph, tout à son bonheur de père adoptif, il ne rêve que d’une petite maison pour blottir, à Bethléem, sa petite famille. Pas une étable, non. Une vraie chaumière. Il faut se glisser une fois de plus dans son sommeil pour l’en dissuader. Gabriel lui noircit ses chimères, lui peint la folie cruelle d’Hérode en couleurs du sang, fait résonner les cris de la soldatesque. Joseph émerge brusquement de son cauchemar comme on échappe à la noyade. Et tous les cinq partent vers l’Egypte : Marie, Joseph, l’enfant, l’âne et l’ange. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin.

Jusqu’au jour où Hérode meurt. La nuit venue, l’ange se faufile dans les rêves calcinés de Joseph. Il repeint en blanc l’échoppe du charpentier. Cela suffit pour que la petite famille rentre au pays. Mais les hommes sont plus têtus que les ânes. Joseph veut s’installer à Bethléem. L’ange visite une dernière fois sa nuit. Il lui montre Nazareth, son atelier abandonné, ses planches qui craquellent sous la poussière, ses outils qui rouillent. Joseph écoute le visiteur de ses nuits. Et ils remettent encore une fois leurs sandales et leurs sabots sur la route. Et marche aujourd’hui, et marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin. Gabriel les accompagne à Nazareth. Les embrasse. Se perche sur leur maison. Ecoute le père apprivoiser le bois, la mère chantonner au puits et l’enfant babiller avec l’âne. Laissons-les vivre leur bonheur, se dit-il enfin. On verra plus tard.

Gabriel se posa devant le trône céleste. Comme une touffe de duvet.

 

 

* Richard Gossin est conteur et Maître de Conférence à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg.

Petite bibliographie

 

- Ecoute, c'est Noël, Les Bergers et les Mages, 1995

- Pour conter la Bible, Edisud, 2002.

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Published by Aumônerie protestante des aéroports - dans Spiritualité