Les voyants sont au rouge dans tous les points névralgiques de l'aéroport. C'est le branlebas de combat. Des médecins, des secouristes, des gendarmes, des pompiers apparaissent de partout. Le centre médical d'urgence est rempli de personnels de toutes sortes qui se bousculent pour prendre les consignes, et gagner leur poste au plus vite...Toutes les forces vives de la plateforme sont réparties en différents lieux, et chacun sait ce qu'il a à faire...
Les secrétaires-réceptionnistes sont fébriles. Elles donnent coup de téléphone sur coup de téléphone, appelant à la rescousse un nomnre incalculable de personnes dont la présence est indispensable en temps de crise.
Les aumôniers et les psychologues sont de ce nombre. C'est ainsi que je reçois un appel urgent sur mon portable: "Un crash aérien vient de se produire... Pouvez-vous venir immédiatement?"
Heureusement, ce n'est qu'un exercice de simulation, et non pas un véritable crash aérien... C'est "pour du faux", comme disent les enfants. Pourtant, comme toutes les conditions sont réunies pour simuler l'urgence, et l'aspect dramatique de la situation, comme tout le monde, je sens le stress qui monte en moi. Je ne dois surtout pas le montrer, et rester impassible extérieurement. Evidemment, comme le médecin-chef nous a prévenus à l'avance, mon collègue et moi sommes déjà sur les lieux, ce qui ne serait pas possible en temps ordinaire... Puis un des rabbins que j'ai alertés finit lui aussi par arriver.
Quelques instants plus tard, nous sommes dans un des véhicules d'urgence du centre médical, et nous nous dirigeons vers le lieu où se trouvent ceux qui vont jouer le rôle des familles attendant des passagers de l'avion accidenté.
Tous les cas de figure sont représentés. Il y a les gens qui s'effondrent en pleurant, ceux qui crient et explosent de colère... Il y a ceux qui font le siège des moindres responsables officiels pour avoir des nouvelles précises, et ceux qui ne peuvent s'empêcher, malgré leur angoisse, de prendre photo sur photo au cas où... Il y a aussi ceux qui critiquent la façon dont la situation est gérée, et ceux qui restent dans leur coin à se ronger les ongles sans oser intervenir, et enfin ceux qui sont prostrés. On s'y croirait vraiment...
Au départ, je ne sais pas vraiment comment me comporter... Si c'était "pour de vrai", comme disent les enfants, je saurais instinctivement ce qu'il faut faire... mais dans une situation où je sais pertinemment que je suis face à des gens qui jouent un rôle, que faire? Pourtant toutes ces personnes sont vraiment convaincantes, et elles se mettent vraiment dans la peau de leurs personnages. On ne dirait pas qu'il s'agit de simples volontaires travaillant en temps ordinaire à l'aéroport, et non des acteurs chevronnés. Je décide donc de jouer le jeu moi aussi, et, après avoir fait plusieurs tentatives plus ou moins réussies auprès de différents types de personnes, je m'assieds à côté d'une jeune femme qui semble prostrée.
Puis j'ose une question banale un peu embarrassée: "Comment ça va? Vous tenez le coup?"... Aucune réponse... Bon, c'est bien parti ! Et maintenant, qu'est-ce que je fais? C'est alors que, dans ma mémoire, me reviennent des flash back de situations où je m'étais retrouvée quand j'étais aumônier des hôpitaux, et dans lesquelles la seule chose que je pouvais faire était d'être là, avec les gens en grande souffrance physique ou morale, et de me taire tout simplement... je me sentais totalement impuissante devant cette souffrance pour laquelle je ne pouvais rien faire, mais j'avais le désir de témoigner de l'amitié et de la compassion aux personnes auxquelles j'étais confontée... afin qu'elles sachent qu'elles n'étaient pas seules dans l'épreuve.
Alors, je reste là, silencieuse, près de cette personne prostrée tout en me demandant si c'est bien ce qu'il faut faire. Au bout d'un moment, elle se décide à parler, et me dit à voix basse: "Vous ne pouvez pas imaginer combien votre présence m'a fait du bien ! Si vous aviez parlé, cela m'aurait énervée parce que me revenaient à l'esprit des situations tragiques que j'ai vécues dans le passé. Et j'avais juste besoin de ne pas être seule en repensant à tout ça..."
Anniel Hatton